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L'église et l'oeuvre de Claude Rutault

L’oeuvre de re-création de Claude Rutault

Si l'on excepte la Chapelle du Rosaire à Vence, entièrement décorée par Matisse entre 1949 et 1951, il est rare qu'un artiste intervienne sur un édifice dans sa totalité. C'est pourtant ce qu'a réalisé Claude Rutault (né en 1941, l'un des plus importants artistes français de sa génération) à Saint-Prim. Les oeuvres de Claude Rutault s'inscrivent dans la filiation de la peinture monochrome (la toile étant peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est exposée) et leur cadre général de réalisation (laquelle peut être assurée par une personne autre que l'artiste) dépend d'un texte que Claude Rutault a appelé « définition/méthode » dont plusieurs ont été écrites à ce jour. La première d'entre elles fut conçue en 1973 : « une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. Sont utilisables tous les formats standards disponibles dans le commerce qu'ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales, l'accrochage est traditionnel. » Les oeuvres de Claude Rutault n'ont donc pas, contrairement à la grande tradition occidentale, une forme fixée et quasi-unique, mais un nombre potentiellement important de concrétisations, successivement dans le temps. Leurs couleurs, formes, nombres, disposition, grandeurs peuvent varier très sensiblement, selon les décisions prises par la personne qui les prend en charge.

Menée en concertation avec le clergé, les paroissiens et les élus, l'intervention de l'artiste a tout pris en compte : sol dans sa totalité (y compris la création d'un baptistère et d'une fosse dans l'abside), murs (enlèvement des moulures du XIXème siècle et réouverture d'une baie dans le croisillon sud du transept), lissage des voûtes, mise en peinture de l'ensemble (incluant le mobilier), vitraux, programme iconographique, éclairage, mobilier liturgique – sans oublier, à l'extérieur, la façade principale, le bas des murs extérieurs, le parvis et la création d'un square côté sud qui rapproche sacré et profane tout en les distinguant.

 Claude Rutault est venu à maintes reprises à Saint-Prim pour dialoguer, modifier et ajuster le projet, suivre le chantier. Le rassemblement de ses notes de travail et très nombreuses esquisses pourrait donner matière à la publication d'un second livre. Un des objectifs fut de redonner lisibilité et cohérence à l'église – choeur roman, nef du XIXème siècle. Quand Claude Rutault vient pour la première fois à Saint-Prim, il découvre un édifice qui nécessitait une restauration. L'intérieur est encombré d'un mobilier hétéroclite et de tout un peuple de statues en plâtre dans le plus pur style « Saint-Sulpicien » ; pour la plupart en mauvais état, les quatorze tableaux du chemin de croix, datant du XIXème siècle, relèvent de la même esthétique. Constatant que « l'on ne voit plus rien quand il y a surabondance d'images », Claude Rutault joue alors la carte de la clarté et de la simplicité. C'est une lumière généreuse et colorée qui, aujourd'hui, prédomine. Pour autant, statues et tableaux n'ont pas été remisés, mais traités de façon à interroger notre rapport à l'image. Aujourd’hui s’est installée une atmosphère sereine, dans laquelle la lumière (en forte interaction avec les conditions météorologiques extérieures) joue un grand rôle. L'église entièrement re-créée est 'le repère millénaire qui identifie le village', fier de voir désormais autant de personnes venues de toute la France visiter son église ».


porter un sens


Ce travail concerne une église, un lieu de prière [..]. je considère que toute décoration doit être bannie parce que chaque partie architecturale, chaque élément ou objet doit porter un sens à travers une qualité esthétique propre à sa fonction.

gommer les ajouts du temps

il fallait d’abord mettre en place une architecture claire, qui distingue les deux moments de la création du bâtiment en privilégiant la partie la plus ancienne. pour cela il était nécessaire de simplifier la partie XIXème, gommer les différents ajouts accumulés au fil du temps […] pour la partie ancienne on s’est contenté de nettoyer et repeindre. la pente du sol rectifié monte de façon douce mais sensible. la fosse creusée dans le sol a été pensée comme un espace (dans la partie la plus étroite de l’église la plus intime) de repos, de méditation, de prière voire de réconciliation, en compagnie de marie et joseph, baigné dans la lumière jaune et bleue des stores. l’endroit fait écho au baptistère dans la nef, les piliers ont été rabotés pour porter le regard sans anecdote décorative superflue, vers la voûte refaite et blanchie de la façon la plus lumineuse possible, unifier le volume, pas tant le simplifier mais faire que nous en fassions partie pour un moment, qu’il nous emporte, nous élève […]

Nous sommes dans la couleur


peu à peu la peinture est devenue très présente, omniprésente même puisque dans cette église tout est peint. nous sommes sur terre (la couleur du sous-bassement qui inclut les piliers de la nef est la couleur de la terre de st-prim). le sol et dans la même couleur légèrement plus claire pour des raisons pratiques. tout le mobilier est de la couleur des murs. nous sommes dans la peinture mais au-dessus de 2.05 m nous sommes dans une blancheur maximale, le regard s’égare d’autant mieux dans cette couleur qu’il est possible de voir comme une absence, que l’espace a été dégagé de cette superstructure inutile. il ne s’agit que de lever les yeux. nous sommes dans un lieu où l’architecture et la peinture se renforcent l’un l’autre. architecture peinte, peinture sur une architecture, religieuses.

réchauffée par la lumière


cette architecture/peinture est réchauffée ponctuellement par la lumière. le choix du store en place et lieu du vitrail traditionnel découle de la volonté de renforcer l’exigence de spiritualité du lieu et de mes préoccupations en tant qu’artiste : comment être peintre aujourd’hui ? d’abord unifier les ouvertures en plaçant des vitres blanches d’un seul morceau, puis placer devant ces vitres qui accueillent la lumière extérieure, des stores de couleur (couleurs habituelles pour une église), objets mobiles qui permettent de moduler la couleur, de la projeter sur l’architecture en une infinité de nuances. on a pu remarquer que les feuilles des arbres qui inscrivent leur mouvement derrière la couleur, deviennent comme l’eau du baptistère, des éléments de vie qu’aucune anecdote imagée ne vient brouiller.

Souffler une dynamique


L’autre partie importante du fonctionnement de cette architecture, la disposition des éléments mobiles, désir d’accorder aujourd’hui et ce qui a précédé… l’allée centrale réduite, le cheminement se fait désormais de préférence en empruntant les allées latérales, sans contrainte excessive. tout ce qui n’est pas l’architecture fixe a été légèrement mis en déséquilibre visuel, souffler une dynamique, c’est à dire donner envie de ne pas simplement venir s’asseoir sur un banc et attendre la fin de la cérémonie, provoquer une forme de participation. avec le lieu donc avec ce qui s’y déroule ; introduire, par retour à la tradition de l’église un élément vivant par un baptistère creusé en forme de croix alimentée par une eau qui traverse l’église et coule, sonore. j’attache par exemple une grande importance à la verdure qui doit grimper autour des bénitiers.

l’élément modulable

le mobilier est la suite des choix architecturaux dont il constitue l’élément modulable. il est simple et la forme a une petite histoire. tout au début de ma réflexion j’avais pensé utiliser la grande crucifixion située au–dessus de la porte d’entrée comme table d’autel, la recouvrant d’une toile qui aurait été peinte comme les murs, gravant le dessin sur-verre de la même forme posée dessus. le désaccord entre deux instances de l’église m’a fait renoncer au projet. mais j’ai conservé l’idée d’un piètement central rayonnant, ce qui correspondait à sa position centrale souhaitée depuis le concile vatican II. le père chaize a ensuite souhaité continuer cette forme, que l’autel devienne circulaire, ce qui fut décidé. les autres éléments de mobilier, le siège de la présidence, les tabourets, les consoles, le tabernacle, ont été conçus à partir des mêmes choix, et tous peints de la même couleur comme les bancs qui s’y trouvaient déjà. un déluge de peinture.

relativiser l’image


la réflexion sur les images est une vieille histoire, réglée en son temps par le concile de nicée (787). sans remonter si loin je suis parti du constat que la religion catholique est une religion de l’image ce qui ne m’a pas empêché d’énoncer dans le travail une position d’aujourd’hui sur l’image, à une époque où son bombardement intensif aurait tendance à monopoliser le discours. le chemin de croix ne présentait aucune qualité particulière et de nombreuses toiles étaient dans un état proche de la ruine, impossibles à restaurer. de plus la passion du christ me semble mériter davantage de respect que des tableaux mécaniques d’une imagerie datée du XIXème siècle. j’ai donc recouvert chaque toile d’une toile neuve qui a été peinte de la même couleur que le mur (mon travail habituel de peinture depuis plus de trente ans). chaque toile est accompagnée d’une petite photographie de la peinture avant d’avoir été recouverte. le paradoxe est que ces légendes relativisant l’image, sont beaucoup plus supportables que les peintures parce que justement il s’agit de photographies.

supprimer les sculptures


le choix de supprimer les sculptures relève du même principe : dégager le lieu de son caractère figé dans des représentations d’une époque trop étroite, datée, tout en conservant dans l’église les éléments précédents (un haut de chapiteau XIXème et un vitrail ont également été conservés). d’une part questionner la pertinence des représentations, de toute représentation, de l’autre insister sur les constantes de la peinture et de la sculpture, rendre visible la permanence de leurs liens au religieux. j’ai donc décidé de conserver toutes les sculptures dans l’église mais de les regrouper sur un même mur, de les disposer sur des étagères (est-ce si différent de ce qui s’est toujours fait sur le tympan des églises) et de les draper entièrement. le drapé est une figure constante de toute la sculpture (de phidias à christo) et le dessin de drapé un exercice pictural qui perdure dans les écoles de beaux-arts. d’où la présence de la reproduction d’un dessin de léonard de vinci. la contrepartie a été de remplacer ces représentations par des photographies, de peintures anciennes (caravage pour st jean baptiste) d’utiliser des images de films (jeanne d’arc) à chaque fois le saint apparaît dans une situation, une forme et un visage différents. il n’existe donc pas une représentation mais des représentations.

Paradoxe de ce questionnement par l’image, les images se sont multipliées, à l’image de l’époque.

extraits du livre : saint-prim claude rutault 1999-2007


Depliant-ST-PRIM.pdf

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